Accompagner les familles les plus démunies face à la continuité éducative

Les mesures de confinement imposées par l’évolution de l’épidémie de COVID-19 impactent directement l’Afev dont la vocation est de dépêcher des bénévoles au domicile d’élèves en difficulté. Les plus pénalisés par la mise en place de l’école à la maison sont les jeunes mentoré.es de l’Afev mais aussi d’autres publics scolaires, parmi les plus fragiles. C’est donc à marche forcée que les équipes de l’Afev au niveau national ont mis en place le hashtag #Ongardelelien. Cette opération permet aux mentors de poursuivre à distance l’accompagnement des jeunes, et à l‘Afev d’organiser une solidarité plus forte que jamais. La classe à la maison accentue les difficultés scolaires et les inégalités sociales

Confinement n’est pas immobilisme : la vie continue pour les familles, à commencer par le travail scolaire au quotidien. « L’Afev accompagne des enfants et des jeunes qui sont en fragilité au sein de familles en grande précarité, et qui ont un lien compliqué à l’école. Avec la mise en place de la classe à la maison, ces difficultés se font plus présentes et accentuent les inégalités scolaires : leçons non comprises, peu de moyens matériels pour suivre l’école à la maison, familles nombreuses, manque d’espace, parents qui ne parlent pas ou peu le français, les obstacles ne manquent pas… », détaille Fiona Soler, chargée de mission Mentorat au siège de l’Afev, et très impliquée dans l’opération #Ongardelelien.

Toutes les familles ne sont pas égales dans les conditions de confinement et la classe à la maison constitue une épreuve pour les moins aisées.

Comment aborder ces conditions dans le détail pour faire baisser la pression ? Ne pas se focaliser uniquement sur le scolaire ; une visite virtuelle dans un musée peut aussi être bénéfique. « L’important : que les familles et les enfants ne se sentent pas isolés car on est en risque de surchauffe. Il est primordial de garder un équilibre entre continuité éducative et réalités de la vie intrafamiliale. Aussi bien, nos bénévoles doivent tenir le stress à distance face aux flux des devoirs », estime Eunice Mangado-Lunetta, directrice des programmes de l’Afev. L’accompagnement du mentor suppose une adaptation réelle aux besoins immédiats de l’enfant. Et si nécessaire, il faut rappeler les gestes barrière contre le virus, y compris dans la langue maternelle de l’enfant.

Un support sur Youtube créé par l'association Banlieues Santé, traduit dans plusieurs langues, présente le détail des gestes qui sauvent. Il incombe aux bénévoles de mesurer l’impact des conditions sociales sur l’enfant et de savoir s’adapter en souplesse : « Dans les familles plus aisées, il est facile de faire des choses ensemble qui, si elles ne sont pas d’ordre scolaire à proprement parler, vont développer des acquis chez les enfants : cuisiner, lire ensemble, discuter… Dans les familles plus populaires, on observe que la polarisation sur le scolaire est plus importante, or c’est justement là que les ressources éducatives sont moins nombreuses. Enfin, il ne faut pas oublier la dimension du ressenti pour chacun qui, forcément, n’est pas neutre », souligne Eunice Mangado-Lunetta. 

 « La distanciation sociale » renforce incroyablement le lien entre mentors et mentoré·es

C’est par une mobilisation à marche forcée que l’Afev, en lançant l’opération #Ongardelelien, a tiré les conséquences du confinement mis en place dans le pays. « Ce terme de “distanciation sociale “ m’interroge, car avec un recul de trois semaines, j’ai le sentiment qu’au contraire, le confinement met précisément en exergue l’importance du lien humain ! La chaîne invisible qui existe désormais entre nos bénévoles, nos volontaires en Service Civique et les jeunes qu’ils accompagnent nous dépasse. C’est très impressionnant », constate Eunice Mangado-Lunetta.

De fait, dès l’annonce de la fermeture des écoles, l’Afev a évalué les effets de cette décision : non seulement l’ensemble des jeunes habituellement suivis par des bénévoles de l’association auront plus besoin que jamais d’être accompagné.e.s, mais aussi des milliers d’enfants et adolescents sur le territoire national – notamment repérés par des établissements dans le cadre du programme Devoirs faits - vont également avoir besoin d’un soutien régulier pour faire face à l’isolement imposé par la classe à la maison. « Nous nous sommes appuyé.e.s sur le réseau national de salarié.e.s, fort et soudé. Nos équipes ont fait preuve d’une grande réactivité et d’une solidarité impressionnante. C’est très émouvant de voir comment, en quelques heures seulement, ce grand élan de solidarité a pris forme », poursuit Fiona Soler.

Les jours à venir vont voir évoluer le lien entre mentors et mentoré·es : comme tout un chacun, les jeunes ont leurs hauts et leurs bas dans ce contexte confiné. « Parmi les mentors, certains peuvent être moins disponibles et d’autres malades, ou bien plus angoissé.e.s… Il n’en demeure pas moins qu’à ce jour et selon les remontées des divers pôles de l’association, le taux de jeunes qui maintiennent le lien malgré le confinement se situe entre 60 et 80%. C’est considérable. Par ailleurs, nous travaillons chaque jour plus intensément à diminuer l’écueil principal au suivi : l’équipement informatique des familles les plus fragiles », affirme Eunice Mangado-Lunetta.

L’équipement numérique, défi majeur du dispositif d’accompagnemen

Pour lancer l’action #Ongardelelien, il a fallu aller vite et précipiter la transformation numérique de l’Afev à l’échelon national. « Grâce à tous les moyens de communication numérique que nous avons à notre disposition, nous avons mis en place des outils de suivi partagés, notamment via le site ressource dédié aux mentors de l'Afev. Depuis, nous faisons des points hebdomadaires et je reste en contact avec les salarié.e.s au cas par cas, qui, eux-mêmes, sont en lien avec les mentors », explique Fiona Soler. Le défi essentiel réside désormais dans l’équipement des familles.

La fracture numérique,  qu’elle soit liée à des conditions sociales et/ou de territoire, est un obstacle majeur à l’école à distance : en situation de confinement, le lien avec les professeurs et les mentors est impossible. Des initiatives viennent enrichir le renforcement du lien entre les bénévoles et leurs jeunes : l’Afev Valenciennes, forte d’un don en matériel informatique de la part de BNP Paribas, a déjà livré nombre de machines dans des établissements scolaires, à des familles de la Métropole et de la Communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut. Certain.e.s bénévoles ont accompagné le/la jeune qu’il/elle accompagne dans d’appropriation de l’ordinateur.  Une opération d’envergure a été initiée avec la Fondation Break Poverty et Emmaüs Connect « Nous menons également des actions conjointes pour répondre sur le vif à la fracture numérique : on a pu identifier 500 familles sans équipement numérique en deux journées et les besoins ne font qu’augmenter ! », explique Eunice Mangado-Lunetta.

Emmaüs Connect via son partenariat avec SFR va également mettre à disposition des clés de connexion et des cartes SIM qui permettent le partage de connexion pour les mentoré·es de l’Afev mais aussi pour les autres associations du Collectif mentorat.

1 000 familles seront ainsi équipées et accompagnées si besoin dans leur découverte de l’équipement. 

L’Afev et le confinement lié au COVID-19, une expérience partagée

L’opération #Ongardelelien démontre la force inépuisable du mentorat, compagnonnage plus puissant et plus nécessaire que jamais, y compris pour les 8 000 bénévoles et les 1 300 volontaires en Service Civique, eux aussi confinés.  Ils vivent une expérience à dimension humaine très forte.

Cette épidémie pose l’Afev comme acteur territorial de l’éducation à part entière à Besançon, Marseille, Toulouse, Lyon, Amiens et d’autres zones encore sur l’ensemble du territoire national.  

« Les niveaux d’intervention se multiplient : nos volontaires travaillent avec les établissements scolaires ; en Avignon, nous intervenons sur cinq collèges via Pronotes et les réseaux sociaux ; nous sommes désormais en lien avec rectorats et préfectures ; l’université nous sollicite pour que nous aidions les lycéens à se préparer au bac… », détaille Eunice Mangado-Lunetta.  Mais ce n’est pas tout : dans le cadre du partenariat avec le Ministère de la Culture sur l’Éducation aux Media et à l’Information, les volontaires en résidence travaillent sur le démontage des fake news autour du COVID-19. Une page Facebook et un compte Twitter ont été créés et le groupe prépare un webinar visant à former d’autres volontaires anti fake news. « L’engagement des étudiants et des volontaires pourrait s’étioler ; or, au travers de ces nombreuses initiatives, tout montre au contraire qu’ils veulent continuer et aller plus loin encore », conclut la directrice des programmes de l’Afev. Car il faut mesurer les enjeux. Quelque chose advient, que cette anecdote vient illustrer : à Marseille, deux mères de familles ont pleuré lorsqu’elles ont appris qu’elles allaient recevoir un ordinateur. Preuve que l’humain et la solidarité peuvent modifier le prisme de cette période angoissante. Alors c’est une évidence : on garde le lien !  

 

Sylvia Tabet

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